Sur l’Île-Saint-Denis, entourée par la Seine, se trouvent les locaux de Mode Estime, un atelier chantier d’insertion (ACI). Cette structure aide à l’insertion professionnelle des personnes “éloignées de l’emploi” en utilisant la couture, une pratique qui ne nécessite aucun diplôme et dont les bases sont accessibles. 

Une structure ancrée dans le paysage Séquano-Dionysiens

Lorsqu’on pénètre dans les locaux, on comprend tout de suite : la couture, c’est leur créneau. Ce vendredi, ce sont les couturiers plus expérimentés qui occupent la salle principale. Ils sont quelques-uns attelés à leur machine à coudre. Certains travaillent sur la table de coupe et d’autres s'occupent de la gestion des commandes. C’est Mathilde Coin, la chargée relations clients et communication, qui m’accueille. Devant l’effervescence bruyante de l’atelier, nous décidons de nous éloigner pour procéder à l’interview. 

Mathilde explique que Mode Estime est un ACI depuis 2014, et est implanté sur l’Île-Saint-Denis, en Seine-Saint-Denis. Elle est arrivée en cours de route, mais certains sont là depuis le début, comme son collègue Misbahou. “Il est l’encadrant technique de l’atelier, c’est-à-dire qu’il régit les quatorze personnes de cette partie basse. Avant, il était en insertion, et il est monté en grade. Il prépare les modèles, les prototypes, il gère la production, les contrôles qualité, mais il forme aussi les gens.” Au total, ils sont six à constituer l’équipe encadrante.

Un ACI doit dépendre des subventions

Un atelier chantier d’insertion est un type de structure bien défini. À sa création, Mode Estime a été conventionné par l’État français. Son fonctionnement économique est particulier : 70% de son chiffre d'affaires provient des subventions (département, la région, l’État ou l’Europe), et 30% des recettes liées à sa production. Dans le cas où l’ACI dépasserait ces 30%, il risque de perdre son statut et ses subventions. Un ACI n’est pas une entreprise et, par conséquent, sa production ne doit pas être sa première motivation. Les employés signent un contrat à durée déterminée d’insertion (CDDI), qui sert de “tremplin vers l’emploi”, avec la signature d’un CDI comme objectif. Ces CDDI ont une durée de six mois, et sont renouvelables. En moyenne, un employé reste deux ans chez Mode Estime.

Au niveau de sa production, l’ACI fabrique pour les autres. Les clients fournissent les matériaux et les patrons. Après la création d’un prototype, les deux parties fixent le prix de la commande. Mathilde précise : “On collabore avec plusieurs types de clients : des créateurs, des marques de luxe, des associations/ONG, etc.” Ainsi, Mode Estime a déjà travaillé avec Louboutin pour fabriquer des cadeaux offerts aux clients, à partir de fins de rouleaux de soie. “On a déjà travaillé avec la FFF, en utilisant des maillots impropres à la vente pour les adapter à des enfants hospitalisés. On a utilisé un dispositif pour qu’ils soient plus faciles à mettre par le dos, comme ça ces enfants ont pu porter un maillot de l’EDF.
Un emploi peu représentatif

La question de la formation est une problématique centrale dans cet ACI. Le but premier de la structure est l’insertion professionnelle. Pour ce faire, les personnes engagées participent à la production d’accessoires. Mais le recrutement ne se base pas sur leurs compétences en couture. “Il faut qu’un parcours à Mode Estime fasse sens. Les personnes qui arrivent chez nous sont orientées par Pôle Emploi ou par la “Plate-forme de l’inclusion”. Pour relever de l’insertion, elles doivent avoir un papier les déclarant “éloignées de l’emploi”, ce qui veut dire plein de choses”, explique Mathilde.

L’emploi n’y est pas professionnalisant, et les employés ne sont pas destinés au milieu de la couture. En effet, ils sont accompagnés, notamment pour accomplir les démarches nécessaires à l’obtention d’un emploi.Ceci tient son explication du fait qu’un emploi de couturier à Mode Estime n’est pas “représentatif” d’un vrai emploi de couturier. “On produit des accessoires classiques qui sont souvent produits dans d‘autres pays. De plus, on n’est pas soumis à la pression économique. Pendant un temps, le maître mot c’était de ne pas créer de vocation chez les gens.” C’est la période de pandémie qui a commencé à faire changer les choses. “Ce qu’on constate, c’est que depuis la demande de masques en quantité, il y a plus de demande à l'échelle locale”, détaille la chargée relations clients.

“Je suis convaincue qu’il y a de l'avenir pour ça”

Face à cette demande accrue de main d'œuvre qualifiée, la structure d’insertion a décidé d'innover. Mode Estime a lancé le Labo, un deuxième atelier dédié aux techniques de confection plus avancées. Il s’agit de confier la confection des commandes de prêt-à-porter aux couturiers les plus aguerris. Quatre des dix-huit employés ont rejoint ce nouvel atelier. Ils ont déjà obtenu un contrat avec la jeune marque Ikeba.

“Il y a cette idée d’aller vers la reconnaissance des savoir-faires et la montée en compétences. Des gens sont qualifiés, mais avec le système dans lequel on est, les entreprises ne parviennent pas à trouver une main d'œuvre." Mode Estime agit en tant que passerelle entre des ouvriers qualifiés non diplômés et des entreprises en demande. “Le monde de la mode est difficile d’accès, en tout cas en Île de France. Les gens avec qui on travaille n’y ont pas accès, alors que les grandes marques ont du mal à embaucher. On essaie d’innover, à notre échelle. Je suis convaincue qu’il y a de l’avenir pour ça.”

En pleine mutation, l’atelier chantier d’insertion Mode Estime dépasse ses objectifs premiers, en se spécialisant et en se professionnalisant.

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