“Costume de femme.” C’est la définition du terme “tailleur” que propose le dictionnaire Le Robert. Si elle est factuellement juste, elle est caduque. Le terme “costume”, défini comme “pièces d'habillement qui constituent un ensemble” par le même dictionnaire, est attribué au vestiaire masculin. 

Ancêtres du tailleur

La première pièce semblable à un tailleur aperçue sur une femme remonte au XVIIe siècle. C’est l’habit d’amazone, porté pour monter à cheval. La veste présente déjà des manches longues, réglables grâce à des boutonnières. Elle se ferme grâce à des boutons, et possède parfois des revers, qui seront, plus tard, propres aux costumes masculins. Sa taille est marquée. Les femmes portaient une jupe longue pour l’accompagner, faite du même tissu. Cette ébauche de tailleur disparaît par la suite, remplacée par des vêtements plus lourds et féminins, comme le casaquin ou le caraco.

Grossièrement, entre 1700 et la fin des années 1800, le vestiaire féminin est principalement investi par les robes, quelles qu’en soient les formes et les usages. Pourtant, l’ère industrielle va amener au développement d’habits semblables au tailleur. Les femmes participent en grande partie aux travaux d’usine : en 1860, 105.000 des 416.000 employés de l’industrie parisienne sont des femmes, d’après une enquête de la Chambre du commerce reprise par l’ouvrage La révolution matérielle. L’essor du tailleur s’explique aussi par la démocratisation… du sport.

L’habit du siècle

Dans Brève histoire de la mode, Catherine Örmen écrit : “Sous le Second Empire, [...] on invente le costume tailleur, vêtement pour faire du tourisme. Venu d'Angleterre, il est adapté à la promenade, au tourisme en pleine expansion et surtout au travail des femmes qui se développe de plus en plus.” Jusqu’à présent, les couturiers préféraient offrir leurs services à une clientèle masculine. C’est l’anglais John Redfern qui invente le métier de tailleur pour femme, à la fin du XIXe siècle. Il est alors nécessaire d’adapter le vestiaire féminin à la pratique sportive, en pleine expansion. Les vêtements sont allégés, raccourcis, avec mesure tout de même. En 1885, le tailleur est officiellement né. Il est composé d’une veste et d’une jupe, tous deux taillés dans le même tissu.

Au cours de la “Belle Époque de la consommation”, entre 1885 et 1914, on supprime le corset, et on rend les robes plus pratiques et moins encombrantes. Pendant la Première Guerre mondiale, les femmes employées en usine portaient l’uniforme de l’arrière, une tenue simple constituée d’une jupe, d’une salopette ou d’un pantalon, et d’un haut classique. L’endossement du travail autrefois masculin passe aussi par l'appropriation d’une partie des mœurs qui l’accompagnent, à savoir le code vestimentaire. À la fin de la guerre, le tailleur fait sa réelle apparition, alors que les femmes retrouvent leur place sans pour autant faire régresser leur émancipation.
Outil du combat féministe

Le port du tailleur accompagne la lutte féministe, dans l’obtention d’un travail dans un premier temps, puis dans la révolution vestimentaire post-Première Guerre mondiale. Son essor coïncide avec la lutte pour le droit de vote des femmes. À partir de 1908, les suffragettes françaises commencent leur combat, en s’inspirant de leurs homologues anglaises. Après la guerre, la créatrice Gabrielle Chanel travaille à l’émancipation des femmes. Elle-même est indépendante financièrement, fait rare à l’époque. Elle s’inspire du vestiaire masculin des hommes qu’elle côtoie et en retranscrit certains éléments dans ses vêtements pour femmes. C’est le cas pour le pantalon, le cardigan, et le tailleur, qui emprunte sa praticité au costume. Il marque les années folles, et poursuit son chemin jusqu’en 1945, dans l’ombre de la jupe crayon. 

Sa renaissance a lieu après l’armistice. C’est Christian Dior qui va le propulser au rang de vêtement de luxe, en y mêlant sa folie heureuse. Le but est simple : rendre les femmes belles. Deux autres créateurs français vont marquer l’histoire du tailleur. Le premier est Yves Saint-Laurent, lorsqu’il popularise son smoking-pantalon. Cet ensemble reprend les codes du tailleur tout en étant moderne. Jusqu’ici, on préférait les robes et jupes aux pantalons. Dans les années 60, Saint-Laurent impose le pantalon comme une de ses références, et permet de le répandre chez la gente féminine. La veste de smoking, elle, bénéficiait déjà d’une renommée (Marlène Dietrich la portait dans Coeurs brûlés en 1930), quoique houleuse. 

Le second créateur est Thierry Mugler, qui a participé au regain de vie du tailleur dans les années 80, où les épaulettes sont très en vue. Au cours de cette décennie vouée au culte du corps, c’est la physique qui prime. La “working girl” est en vogue, et le tailleur brille, notamment porté par la mannequin Inès de la Fressange. Les femmes sont plus que jamais féminines, et se sont parfaitement approprié cette pièce originaire du dressing masculin.

Le tailleur est devenu une marque sociale

De nos jours, le tailleur se permet de souffler. Il est toujours porté, mais représente moins un symbole féministe qu’auparavant. Il est davantage considéré comme une marque sociale. C’est sur quoi joue Dress for Succes, une association caritative qui fournit une tailleur à des femmes américaines issues de la classe populaire pour leur permettre de s’en extirper. Si cette structure fonctionne encore, Isabelle Hanifi écrivait ceci en 2008, dans son ouvrage “Le port du tailleur comme moyen de forger une identité de la femme au travail” : “Par les mouvements qu’il contraint et qu’il permet, ce tailleur enserre les femmes dans un rôle de femmes actives idéales, relativement éloigné des normes des classes populaires et des offres d’emploi pour lesquelles elles postulent.”

Pour conclure, voici les mots d’Amélie Delacour, co-fondatrice de la marque de tailleurs 17h10 : “Si les femmes, pour être reconnues, n’ont plus besoin de se confondre dans des habits d’homme, le tailleur reste une pièce maîtresse de la mode, symbole du pouvoir, de l’élégance et de la féminité”.

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